Prostitution des mineurs : se former pour mieux y répondre

par | Avr 18, 2023 | Presse

APLER

Association Pour l’éducation Renforcée

L’équipe du CER Le Sextant a suivi une formation de deux jours, dispensée par l’ACPE, pour mieux appréhender la problématique de la prostitution chez les
jeunes filles accueillies. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

La prostitution des mineurs pris en charge en protection de l’enfance est un sujet qui préoccupe les professionnels et les laisse souvent démunis. Pour mieux l’appréhender, l’équipe du centre éducatif renforcé Le Sextant a suivi la formation proposée par l’association Agir contre la prostitution des enfants.

« Depuis quelques années, on observe une récurrence des problématiques liées à la prostitution. On y est plus souvent confrontés »,
explique Arnaud de Palo, chef de service du centre éducatif renforcé (CER) Le Sextant, situé dans la campagne viennoise, en Isère.

C’est l’un des trois seuls en France à n’accueillir que des filles de 14 à 18 ans, par groupe de six, pour des séjours de 5 mois dans le cadre d’un placement judiciaire.

Besoin d’outils

« Elles sont ici parce qu’elles ont commis un délit. La prostitution n’est qu’une problématique parmi beaucoup d’autres, mais on a besoin d’outils pour comprendre le phénomène et l’accompagner », ajoute-t-il.

La douzaine de professionnels profite d’une intersession pour assister à deux jours de formation avec l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE).

Phénomène protéiforme

« La prostitution adolescente est plus précoce et sans doute en augmentation, confirme Arthur Melon, secrétaire général de l’ACPE, bien qu’on ne dispose d’aucune statistique fiable ».

Les formes de pratiques et lieux de rencontres sont divers : cela va d’actes sexuels dans les toilettes du collège pour un téléphone portable, à des rencontres dans des hôtels ou des soirées organisées via les réseaux sociaux.

« Michetonnage »

« Certaines ne se considèrent pas comme prostituées, le “michetonnage” est pour elles un moyen de gagner de l’argent et de recevoir des cadeaux », ajoute-t-il.

Les signes d’alerte à repérer, outre l’argent et les cadeaux, peuvent être un changement soudain de comportement : décrochage scolaire, fugues, addictions, hygiène négligée ou excessive.

 L’équipe du CER le Sextant est de plus en plus confrontée à la problématique de la prostitution. La formation dispensée notamment par Arthur Melon (ici, debout devant l’écran) doit leur donner des outils pour y faire face. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

Arthur Melon est secrétaire général de l’association Agir contre la prostitution des enfants, et intervient comme formateur. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

Argent et sexe

Quelles en sont les causes ? Le formateur évoque « l’hypersexualisation » médiatique, un discours « glamourisant » qui banalise le phénomène.
« L’argent et le sexe sont les valeurs de cette société », poursuit Hélène David, responsable de la permanence « Ado Sexo » de l’APCE, intervenant dans cette session sous forme d’une interview filmée projetée aux participants, de même que la pédopsychiatre Gisèle George.

Manque de repères

« Il y a aussi l’appât du gain et le mythe de l’argent facile. Et le passage à l’acte est facilité par des sites de rencontres ayant pignon sur rue, “coco.fr” ou “viva street” », ajoute Arthur Melon.

Enfin, l’adolescence est une période propice : « On n’aime pas son corps, on manque de repères sur la sexualité, il y a l’effet de groupe et l’influence des vidéos pornos », rappelle la pédopsychiatre Gisèle George.

Un processus

L’histoire personnelle est toutefois déterminante :

« Violences sexuelles antérieures, mauvais traitements, humiliations, conditions de vie difficiles, faible estime de soi, liste Arthur Melon. Car la prostitution répond à cette carence affective : elles se sentent belles, désirées, leur corps a de la valeur ».

Ensuite il y a toujours un facteur déclencheur, une rupture familiale, une addiction, et une rencontre – « une copine, ou le “lover boy”, le petit copain qui profite de son emprise affective pour accompagner l’entrée en prostitution ».

Quelles réponses ?

Arnaud De Palo – Directeur Général de l’APLER

Julien Saou – Chef de service CER Le Sextant

Au CER, l’équipe témoigne de la diversité des profils rencontrés.

« Entre une jeune fille identifiée dans un réseau organisé ou arrêtée pour proxénétisme, celles qui se prostituent de manière occasionnelle entre copines sur des sites de rencontres, et celles qui ont été amenées à le faire par nécessité dans un parcours d’errance, la difficulté est d’adapter la réponse », explique le chef de service, Arnaud de Palo.

« Comment projeter dans l’avenir une gamine qui à 14 ans était à la tête d’un réseau de prostitution ? », s’interroge Julien Saou, intervenant éducatif. D’autres sont en errance depuis l’âge de 12 ans, en rupture familiale et scolaire après des placements multiples. « La première réponse est de les remettre dans un quotidien d’enfant entouré d’adultes bienveillants, dans une bulle de protection, pour réapprendre la confiance et expérimenter d’autres modes de relations », poursuit-il.

Le chef de service complète : « Offrir un accueil non-mixte est essentiel pour avancer sur ce sujet ».

Les jeunes filles accueillies au CER du Sextant commencent le séjour par deux semaines de randonnée en moyenne montagne, puis une semaine de spéléo et une semaine d’équithérapie. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

Les jeunes filles commencent le séjour par deux semaines de randonnée en moyenne montagne, puis une semaine de spéléo et une semaine d’équithérapie.

« Ce temps de rupture vise à réinvestir son corps dans une activité physique, découvrir ses capacités, et éprouver la confiance en soi et dans l’adulte », commente Julien Saou.

Une phase de remobilisation

S’ensuit une phase de « remobilisation » autour de la scolarité, de l’insertion et de la santé.

« Nous avons des temps de prévention sur les conduites sexuelles à risque, avec des intervenants spécialisés, pour les sensibiliser, les informer des relais qui existent, et développer leur esprit critique », explique Arnaud de Palo.

Libérer la parole

Enfin, les jeunes filles rencontrent la psychologue toutes les semaines.

« Ici, loin de chez elles, elles ont 5 mois pour se poser et réfléchir. Quand on a une suspicion de prostitution, un faisceau d’indices, on essaie de libérer la parole, sans jugement, rapporte Claire Aujas, la psychologue du CER. Quand elles arrivent à se confier c’est déjà un grand pas, ensuite on leur propose un suivi à l’extérieur. C’est plus difficile quand elles se disent consentantes et ne voient pas le problème. On tente de leur montrer en quoi ce n’est pas normal ».

Théâtre forum

Le sujet reste toutefois difficile à aborder pour les éducateurs. C’est pourquoi l’ACPE est venue avec une troupe de théâtre forum, la Cie Aziadé.

« L’entretien que nous allons jouer se termine mal. Le but est que vous puissiez tester vos intuitions et rejouer la scène pour l’orienter autrement », explique une des comédiennes.

Au CER, les jeunes filles rencontrent chaque semaine la psychologue de l’établissement, Claire Aujas. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

Entretien fictif

L’entretien fictif a lieu en milieu ouvert, l’éducateur tente d’aborder le sujet avec une ado qu’il suit, en la questionnant sur ses baskets neuves, ses fréquentations, ses sorties nocturnes et ses tenues aguicheuses.

L’ado se vexe, s’énerve et part furieuse en claquant la porte. L’équipe réagit : « Au CER on attendrait que la relation de confiance soit installée et que la jeune fille soit prête à en parler », note un éducateur.

Jeux de rôle

Plusieurs éducateurs s’essaient à rejouer l’entretien à différents moments de la prise en charge. Mais face aux réactions de la comédienne Tatiana, ils ont bien du mal à entrer dans le vif du sujet et à prononcer le mot tabou sans aller au clash. « On pourrait conduire l’entretien à plusieurs pour que le sujet soit porté par toute l’institution », propose le chef de service, qui se prête au jeu avec la psychologue et un éducateur.

Il rappelle à la jeune fille les inquiétudes de sa famille, l’errance, la décision de placement, et l’objectif de protection par rapport à des conduites à risque. La psychologue poursuit : « Tu dois apprendre à te protéger, à repérer les relations toxiques, les situations dangereuses, les soirées qui vont dégénérer. Ici c’est le moment de se poser et d’essayer des solutions ensemble »

« On a besoin de ce recul pour s’apercevoir qu’on sait faire »

Arnaud de Palo, chef de service

Plusieurs éducateurs s’essaient à jouer un entretien fictif, face à une comédienne de la Cie Aziadé, qui joue le rôle d’une ado possiblement en risque. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

L’entretien fonctionne, la jeune fille pleure et se confie. « C’était fluide entre vous, on a ressenti la cohérence de l’équipe et la bienveillance, c’est très contenant », rapporte la comédienne.

Le bilan est donc positif. « On a besoin de ce recul pour s’apercevoir qu’on sait faire et que nos pratiques ne sont pas maltraitantes », note le chef de service.

Éducation à la sexualité

 

La deuxième journée de formation, animée par la sexologue Claude Giordanella, vise à mieux intégrer l’éducation à la sexualité à la prise en charge. Par exemple en s’appuyant sur le « michetomètre », un guide d’entretien construit par l’ACPE pour aider les professionnels à poser des questions sur les relations amoureuses, aborder les notions de consentement et de désir.

« Les éducateurs du CER pourraient en parler au quotidien avec ces jeunes filles puisqu’ils vivent avec pendant 5 mois, souligne-t-elle. Cela supposerait qu’ils connaissent mieux leurs usages des réseaux sociaux, ce qu’elles y regardent ».

Des professionnels de l’équipe du CER pendant la session de formation avec l’ACPE. – © Pablo Chignard pour Le Media Social

Ateliers

Autre option, aborder le sujet sous forme d’ateliers thématiques.

La sexologue leur suggère de nombreuses idées : « Sur l’anatomie par exemple, pour parler de comment marche leur corps et des sensations. Sur la féminité, les critères de beauté, à travers des collages. Discuter de la rencontre sexuelle – c’est quoi être en couple ? Doit-on accepter n’importe quoi ? Faire un jeu autour du consentement. La séduction : Comment on séduit ? Est-ce qu’on envoie des photos de nu ? Qui on séduit ? ».

Un trauma antérieur

Parler du corps et des sensations permet notamment de repérer les jeunes filles qui ne ressentent rien.

« Car c’est un signe. Les conduites prostitutionnelles sont presque toujours la conséquence d’un trauma sexuel antérieur. C’est une stratégie pour survivre à cette mémoire traumatique. Dans mes consultations, en parlant de sexualité j’amène à cette prise de conscience. Puis j’oriente vers une thérapie du psychotraumatisme ».

Si l’équipe ne sent pas très à l’aise pour animer elle-même ces ateliers, la formation a convaincu le chef de service de s’entourer de nouveaux partenaires, sexologue et thérapeute.

CONTACTS :

Pour les formations ACPE, 01 40 26 91 51 et rp@acpe-asso.org

Pour la permanence Ado Sexo de l’ACPE :
adosexo@acpe-asso.org

En bref

• Les formations proposées par l’ACPE sont de 1, 2 ou 3 jours. Les intervenants sont au choix.
• Sur cette session, les personnes intervenant physiquement étaient Arthur Melon, la Cie Aziadé (3 comédiens) et la sexologue Claude Giordanella. Gisèle George et Hélène David s’y exprimaient dans le cadre d’une interview filmée présentée aux participants.
• Peuvent également intervenir un expert en usages numériques chez les adolescents, une experte en fugues et disparitions, et une consultante en conduites à risques et conduites addictives chez les adolescents.

S’emparer du sujet

Arthur Melon, formateur : « L’ACPE propose des formations depuis 2017. Nous les avons construites au fur et à mesure des demandes et nous sommes de plus en plus sollicités : protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), conseils départementaux, associations de protection de l’enfance. Avant, les professionnels n’osaient pas en parler à leur hiérarchie ni aux jeunes concernés, maintenant ils s’emparent du sujet. Parmi les demandes, beaucoup se disent démunis, ne savent pas comment libérer la parole, savent que les jeunes filles fuguent mais ignorent comment les protéger. Au CER on a vu une vraie cohérence d’équipe, mais il y a parfois beaucoup plus d’interrogations, il arrive que les éducateurs découvrent pendant le théâtre forum comment travaillent leurs collègues. Nos formations leur donnent des repères, s’ils veulent poursuivre la démarche ils peuvent contacter notre permanence « Ado Sexo », sur place ou en visio, pour mettre en place un accompagnement individuel avec notre consultante, Hélène David, spécialisée dans les conduites à risque chez les ados. »

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